BLACK DOLLS…

"Mères, donnez à vos enfants des poupées qui leur ressemblent, pour qu'elles jouent avec et les câlinent, afin qu'elles apprennent à aimer, lorsqu'elles grandiront, leurs propres enfants"

Marcus GARVEY

Vendredi dernier, je me suis rendue à l'exposition BLACK DOLLS, collection de poupées noires et photographies de Deborah NEFF.

L'exposition s'est tenue du 23 février au 20 mai 2018 à la MAISON ROUGE.

BLACK DOLLS représente la collection de poupées en tissu faites main par des Femmes Afro-Américaines entre 1840 et 1940 et de photos d'enfants américains posant avec ces mêmes poupées noires.

Cette exposition est saisissante !

J'ai de suite été happée par l'atmosphère, la mise en scène de l'exposition et la présence hypnotique des poupées.

Me retrouver au milieu de ces poupées chargées autant de signification et d'histoire témoignent de l'héritage inestimable qu'elles représentent.

Ces poupées, qui peuvent aujourd'hui encore être jugées comme superficielles, posent la question de la représentation et de pourquoi il est important d'être représenté.e.s et d'exister au sein de toutes sociétés.

Ces poupées ont été confectionnées par des Femmes noires qui étaient des descendantes directes d'esclaves et vivaient la ségrégation et le racisme aux Etats-Unis.

A cette époque, les Femmes noires étaient très souvent employées dans les familles blanches où elles occupaient des rôles de domestiques, de nourrices (The Help), travaillaient dans les champs, les usines de confection pour des sommes modiques et travaillaient dans des conditions de travail encore très proches de l'esclavage !

Au cours de l'exposition, je comprends que les BLACK DOLLS ont aussi confectionnées par des enfants.

Une partie des Femmes noires qui les fabriquaient travaillaient dans des ateliers de couture et elles utilisaient tous les matériaux qu'elles trouvaient pour leur réalisation.

Au cours de l'exposition, je note que les BLACK DOLLS sont toutes de tailles différentes, représentent aussi bien les hommes que les femmes et les enfants, elles sont de tout âge.

Certaines étaient humanisées au moyen de boutons pour les yeux, une bouche cousue pour faire l'expression, parfois des larmes sur leurs visages en gage de témoignage de la condition des personnes noires dans les Etats-Unis ségrégationnistes.

Elles sont toutes habillées par la mode vestimentaire de l'époque : robe, jupons, costumes pour les poupées masculines.

Ces Femmes, ces enfants et ces hommes noir.e.s n'avaient aucune valeur pour la société américaine à part celle de main d'oeuvre et l'existence de ces poupées les restaurent dans leur humanité et sont une revendication de leur identité et leur existence !

***

Cette exposition peut-être interprétée sous plusieurs angles, d'ailleurs ces points d'interprétation ont été exposés lors d'une journée de conférence le 27 février dernier au Musée du Quai Branly qui s'intitulait : "DES POUPEES NOIRES : culture matérielle, représentations et résistances africaines-américaines (1840-1940)", à laquelle j'ai assisté.

- l'usage ludique des poupées : ces poupées noires servaient de jouets aux enfants blancs dont les Femmes noires qui les confectionnaient s'occupaient car elles passaient plus de temps avec les enfants de leurs "employeurs" qu'avec leurs propres enfants.

De nombreuses photos en attestent.

- l'oeuvre d'art : le fait que ces poupées aient traversé le temps et qu'elles aient été conservées attestent de leur valeur d’œuvres de collections...

- la représentation : l'existence de ces poupées nous questionne sur la nécessité de la représentation qui est une question qui est de nos jours encore d'actualité.

Dans la lutte contre le racisme, la question de la représentation est une question importante et essentielle.

La représentation permet de restaurer l'existence et l'humanité d'un groupe.

Souvent, la question des poupées est jugée secondaire car les jouets, les livres, les personnages, les héros et héroïnes sont relégués à l'univers enfantin et ludique.

Pourtant, ces représentations permettent à tout un chacun.e de s'identifier.

Dans l'exposition BLACK DOLLS, la poupée prend ici de multiples visages dont :

- objet de transition et de mimétisme : l'enfant apprend à "faire la maman" et endosse alors son rôle féminin et la conditionne au "care" ...

- effet miroir : la poupée noire sert à représenter et attester de l'existence des personnes noires dans la société américaine.

Certaines poupées pour marquer l’ambiguïté étaient bicolores et appelées "topsy-turvy" : sans dessus-dessous.

En effet, elles sont composées d'un côté "blanc" et un côté "noir".

Ces poupées topsy turvy ont été fabriquées essentiellement par des Femmes esclaves noires du Sud des Etats-Unis qu'elles confiaient par la suite aux enfants blancs dont elles avaient la charge.

L’ambiguïté est d'autant plus troublante que sur les photos qui imagent l'exposition, les enfants blancs posent avec des poupées noires, tandis que les enfants noirs avec des poupées blanches.

- identification : l'existence de ces poupées permet de bien identifier et séparer la population américaine : les noir.e.s et les blanc.h.e.s.

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Ne suis-je pas une Femme ? (Sojourner TRUTH)

A la sortie de l'exposition, je suis restée sans voix de longues minutes.

Cette exhibition est chargée d'Histoire, l'histoire du peuple noir des Etats-Unis, l'histoire de descendants des personnes noires déplacées du continent africain au continent américain pour bâtir aussi bien les puissances économiques européennes et nord américaine.

Il n'est pas difficile pour moi de m'identifier à ces Femmes, ces hommes, ces enfants qui ont vécu la violence raciste et capitaliste, l'exclusion, la ségrégation, les violences physiques et morales et la négation de leur identité.

C'est très compliqué de faire face à toute colère et cette tristesse que ces poupées représentent.

Il est de notre devoir de transmettre la mémoire.


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